Interview de Thierry Krief dans Challenges

Expert en négociation, Thierry Krief élabore des stratégies salariales pour les cadres et dirigeants. Il enseigne l’art de la négociation individuelle dans de nombreuses grandes écoles, notamment à Polytechnique ou à HEC.
-Pourquoi enseigner la négociation salariale à Polytechnique ou dans d’autres grandes écoles françaises ?
Ces écoles se sont rendu compte que la concurrence étrangère sur des hauts postes était de plus en plus rude et qu’il fallait armer leurs étudiants. Ma méthode croise une dizaine de disciplines, des techniques commerciales à l’analyse transactionnelle, en passant par la sociologie. Avec le prisme suivant : plus l’individu est payé, plus il travaille bien et plus l’entreprise est satisfaite.
Dans un contexte d’individualisation des augmentations salariales, le cadre est-il contraint de négocier plus qu’avant ses émoluments ?
C’est une évidence. Une rémunération ne se donne pas, elle se demande. Un cadre qui arrive sans stratégie a peu de chances d’obtenir ce qu’il souhaite. Ce d’autant plus qu’aujourd’hui, sa vie professionnelle est un pipeline avec une succession rapide d’arrivées, de départs, d’évolutions. Dans un tel contexte, il doit négocier de façon continue.
Les rémunérations sont des packages complexes avec des éléments très divers. Sur quoi un cadre peut-il négocier ?
Je distingue trois parties dans la rémunération. La première recouvre la rémunération fixe, le variable, les primes. La deuxième relève de la grille métiers. La troisième, de l’entreprise (les mutuelles, etc). Seule la première partie peut faire l’objet d’une négociation individuelle.
Dans sa négociation, par quoi le cadre doit-il commencer ?
Tout repose sur l’analyse du contexte. A lui d’accumuler des indices dans un environnement mouvant. L’entreprise est un théâtre. Le facteur clé de succès, qu’on le regrette ou non, c’est la capacité à comprendre un contexte politique et humain, pas les compétences. Une entreprise est faite d’hommes et de femmes, qui ont des « motivations à agir » et d’une culture.
Une fois fait ce travail de pré-enquête, qui faut-il convaincre ?
Le ou la N+1 reste la personne clé qui décide de votre avenir. Pas les RH. Il faut donc construire la réponse à cette question : « qu’est-ce qui va faire en sorte qu’il/elle va me dire oui quand je vais lui faire une demande ? ». Les arguments ne sont pas les mêmes face à un homme ou une femme, un jeune fougueux de 30 ans qui vit à 200 à l’heure ou quelqu’un qui est là depuis 20 ans dans l’entreprise. Mais j’observe une constante : si vous simplifiez la vie de votre N+1, vous avez plus de chances d’y parvenir. Plus encore si vous l’aidez à se valoriser.
-Y a-t-il des règles sur ce que l’on peut demander, des limites ?
Une négociation réussie ne consiste pas à obtenir ce que vous voulez, mais à obtenir le meilleur de ce que l’entreprise est prête à vous donner à un instant T. C’est totalement différent. Ce chiffre peut être supérieur à ce que vous imaginez ou inférieur. Toute la stratégie de la négociation consiste à être au plus près de ce montant pour l’obtenir.
Comment ne pas aller trop loin dans ce qu’on demande ?
Si vous faites attention aux signaux humains, vous pouvez comprendre que vous avez dépassé le seuil de ce « meilleur que l’entreprise peut vous donner à un instant T ». Dans ce cas, vous pouvez toujours revenir à une position plus raisonnable, à condition d’avoir fait preuve de respect auparavant. Sinon vous risquez la rupture.
Peut-on devenir riche grâce aux revenus salariaux?
Le problème, c’est que l’entreprise ne laisse plus le temps d’avoir les carrières longues qui permettaient de faire une très belle sortie. Par ailleurs, la fiscalité est très lourde. Mieux vaut monter sa structure.
Propos recueillis par Anne Tézenas du Montcel